Plus de réglementation pour plus de sécurité ?
Le transport aérien connaît depuis sa création une amélioration continue de son niveau de sécurité. En question de Sécurité des vols, la réglementation qui l’encadre a beaucoup évolué, s’est beaucoup renforcée, en s’intéressant à de plus nombreux pans de l’exploitation, en imposant de nouvelles règles. Il est souvent difficile de discerner exactement l’impact sur la sécurité de nouvelles obligations réglementaires, mais il est évident pour tous que la rigueur et l’évolution réglementaire participe, au jour le jour, à faire de l’aérien un des modes de transport les plus sûrs, sinon le plus sûr.
En revanche, peut-on se convaincre que plus de réglementation, c’est toujours plus de sécurité ?
En France, c’est l’idée dominante. Les standards mondiaux sont très largement renforcés par la réglementation européenne conçue par l’EASA (European Air Safety Agency), qui elle-même évolue sur un rythme soutenu : en moins de deux décennies, l’OPS 1, le corpus réglementaire applicable aux compagnies aériennes, est devenu EU-OPS, puis AIR OPS, et les Implementing Rules (IR) sont aujourd’hui chapeautés par la Nouvelle Basic Regulation (NBR), avec un cadre d’application toujours plus large et plus détaillé par des matériaux complémentaires (FAQ, GM, AMC…). Mais cela n’est pas tout : ces textes sont largement complétés par des textes nationaux, qui font eux-mêmes l’objet d’interprétations plus locales, eux-mêmes adjoints d’obligations édictées par les préfectures, les aéroports et les autres services compétents de l’Etat (douanes, direction du travail, …)
On aboutit ainsi naturellement au « mille-feuille réglementaire » souvent décrié, mais qu’aucun Choc de simplification ou qu’aucunes Assises du transport aérien ne semble en mesure de remettre en cause. Pourquoi un tel état de fait ? Il semblerait, au-delà de l’organisation administrative complexe de notre grand pays, que nous soyons également face à une déviation de l’esprit cartésien et qui laisse planer l’idée que « deux fois plus de réglementation, c’est deux fois plus précis et donc apporte deux fois plus de sécurité ».
Gilles Gompertz dans Air & Cosmos, décembre 2018
Aurais-je exagéré ?
Prenons quelques exemples :
La dernière réglementation franco-française applicable aux compagnies aériennes faisait moins de 200 pages, l’AIR OPS actuel en fait à lui tout seul plus de 2000, et ne suffit toujours pas.
Les obligations relatives aux affrètements par une compagnie européenne dans l’AIR OPS font l’objet de deux articles, elles ont été complétées en France par deux ALT-MoC (Alternative Means of Compliance) et un guide (qui impose de nouvelles règles, contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser) dont l’édition originale en 2014 faisait 13 pages alors que la troisième édition publiée cet été couvre 24 pages. Pour chaque aéroport français concerné, les règles de définition et horaires de couvre-feu sont différents. Il fallait 24 heures pour obtenir un badge provisoire d’accès en zone réservée d’un aéroport parisien il y a quelques années, il en faut aujourd’hui 72.
Doit-on raisonnablement penser que l’Union Européenne et l’EASA font la réglementation à moitié seulement, doit on imaginer qu’un avion qui subit une avarie technique en escale et doit faire l’objet d’une réparation par un spécialiste va rester 3 jours immobilisé en l’attente de la délivrance d’un badge aéroportuaire ?
Ecrire de nouvelles réglementations est une charge importante, c’est pourquoi les Etats européens ont mutualisé cette tâche et créé l’EASA pour l’assurer. Essayer de les mettre en œuvre est une gageure encore plus importante pour les acteurs de terrain : avec la multiplication des textes, il est très difficile de conjuguer connaissance et respect de toutes les réglementations applicables avec une exécution en plein respect des règles de l’art et d’une efficacité et une productivité maximale, telle qu’attendus par l’entreprise et ses clients.
Il est important, il est urgent de se donner comme nouvel objectif réglementaire de « produire moins et mieux », avec plus de cohérence, en s’interdisant le « toujours plus » et la « French touch ». Pour accroitre encore et vraiment la sécurité, sans dégrader l’efficacité du transport aérien français. Et enfin, pour traduire cette maxime qui ne fait pas (encore) partie de notre culture : Simpler is safer.
Gilles Gompertz